Habitation Le Petit Parc, Basse-Terre (Guadeloupe), 28 novembre 185[?]


Mon bien cher frère,

J'ai reçu ta lettre du 20 octobre dernier, comme j'avais reçu celle de ta fille Augustine, ma bien-aimée filleule, datée du 2 août dernier, à laquelle je n'ai pas jusqu'à présent répondu; mais ne croyez pas que cela soit par indifférence. Je n'avais rien de bon à vous annoncer et j'ai attendu.

Je félicite bien sincèrement ton fils aîné et madame Chevalier, ma nièce, du bonheur qu'ils ont d'avoir des enfants; ce n'est que depuis que je suis père que je comprends ce bonheur et celui que j'éprouve en contemplant mon petit garçon, déjà si gentil et si caressant est, je peux le dire, inexprimable.

J'apprends aussi avec plaisir que ton fils Jules s'est rapproché de toi et que ta fille aînée est rétablie; il faut en remercier la Providence qui comme tu le dis n'abandonne jamais les siens.
Quant au pauvre Lucien je comprends parfaitement toute la peine qu'il doit éprouver à la seule pensée de vous quitter. C'est un sacrifice bien dur que celui de se séparer de ses parents et d'une tendre mère surtout, mais c'est une nécessité et je ne puis que l'engager à en prendre son parti avec ce courage et cette résignation qui ne doivent jamais abandonner l'homme en quelque circonstance qu'il se trouve.
Voilà, cher frère, bien des peines pour un père qui aime ses enfants; j'y prends une très grande part, et comme toutes ces peines pourraient s'alléger avec un peu d'argent, je regrette bien vivement que ma denrée se vende aussi mal, car j'aurais pu te venir en aide; toutefois, cher frère, si je fais peu pour t'aider, je ferai pourtant quelque chose. Attends donc un petit secours par le plus prochain paquet.
En attendant, nous allons nous occuper du sort de ma chère Augustine.

On m'écrit qu'elle est recherchée par un jeune homme qui paraît assez lui convenir, et que ce jeune homme qui tient un hôtel à Grenoble est laborieux et s'est lui-même ramassé ce qu'il possède, qu'Augustine lui convient aussi et qu'il vous presse pour terminer ce mariage, que vous n'auriez ajourné que pour m'en faire part.
Je ne saurais, cher frère, me faire juge de la convenance de cette alliance, cela te regarde, et ne regarde que toi et ta fille; mais comme je désire lui faire un cadeau pour son mariage, nous nous engageons sa tante et moi, si ce mariage se conclut, de lui donner cinq mille francs dans cinq ans au plus tard, avec l'obligation de lui servir l'intérêt de cette somme à cinq pour cent l'an jusqu'au jour où nous la payerons.
J'aurais désiré et ma femme aussi qu'Augustine se fût mariée plutôt avec le fils d'un bon propriétaire de la campagne et si son mariage pouvait s'ajourner jusqu'à la fin de la guerre qui m'empêche de vendre mes récoltes, il ne serait pas impossible alors que nous fissions quelque chose de plus pour lui faciliter un bon établissement.
Réfléchissez à cela et comptez sur nos bonnes dispositions.
Ma femme se joint à moi pour souhaiter une santé meilleure à notre belle-soeur; nous l'embrassons bien affectueusement ainsi que tous vos enfants

Ton affectionné frère et sincère ami


Auguste Perriollat



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