Marseille, 12 décembre 1822


Mes très chers parents,

Je suis trop pénétré des sentiments de respect que je vous dois pour ne pas employer les derniers moments qui me restent à demeurer en France à vous en donner des témoignages. Je voudrais le faire de vive voix pour vous en pénétrer comme je le suis; votre tendresse et vos bontés pour moi ont été si loin que mon amour et ma reconnaissance doivent être sans bornes.
J'ai reçu, mon très cher Père, les cinquante francs que vous avez eu la bonté de m'envoyer par l'entremise de Mr Robert. Pardonnez-moi si j'ai remis à quelques jours le devoir que m'imposait la reconnaissance. J'aurais dû le faire plutôt je l'avoue, mais je voulais vous en accuser la réception en vous faisant mes adieux.

Mon très cher père, je crois que mon séjour à Marseille touche à sa fin . Je m'attends de jour en jour à monter sur le bâtiment qui doit me porter où je voudrais déjà être. Quoique je ne puisse pas vous déterminer positivement le jour du départ parce que depuis trois semaines au moins, on nous renvoie toujours au lendemain; cependant le navire est tout à fait prêt et s'il n'est pas parti les affaires d'Espagne sont les seules causes qui l'arrêtent. Jugez quelle est mon inquiétude de ne pouvoir tirer du capitaine d'autres paroles sinon que nous partirons un tel jour, ce jour-là arrivé renvoyer à un autre et rester entre l'espérance et la crainte de ne pouvoir pas partir si la guerre se déclarait, et de retourner au pays après avoir fait tant de dépenses inutiles.

Je joins à cette lettre, qui est la dernière que vous recevrez à moins de quelque événement auquel je ne m'attends pas, un certificat que vous pourrez présenter en cas de besoin comme m'ayant été délivré par le capitaine qui nous reçoit sur son bord au moment de notre embarquement.

Mon frère Maurice qui (...) raison de connaissant mes besoins a bien voulu ajouter cinquante francs aux vôtres me met dans le cas d'acheter un assortiment de certains effets choisis sur lesquels je pourrai bénéficier à mon arrivée. Mais comme cette somme, grosse pour un cadeau, est trop petite pour faire une emplette même modérée, j'ai pris vingt cinq francs de plus chez Monsieur Robert. Vous aurez encore, mon très cher père, la complaisance de les payer à Mr David. Ne le refusez pas, je vous en prie, parce que ce serait tromper la bonne foi de Mr Robert qui me les a donnés sur ma simple demande. Faîtes cela pour moi je vous en supplie. Si jamais je suis à même de pouvoir satisfaire mon coeur vous verrez avec quel empressement je chercherai à vous prouver que vous avez le plus reconnaissant des fils.
Et vous ma chère Maman, dont les soins et l'attachement pour moi ont été si loin que je ne pourrais que faiblement en donner une idée, recevez les tendres embrassements d'un fils qui vous aime de tout son coeur, ne vous inquiétez pas sur son sort, il se croit heureux parce qu'il suit la route que lui trace sa destinée.

J'embrasse de la plus douce et plus sincère amitié tous mes frères et soeur. Veuille le Ciel qu'à mon retour, si telle est la volonté de Dieu à qui je me recommande, que j'aie un jour le bonheur de vous revoir tous en bonne santé.
En attendant cet heureux moment je ne cesserai de demander au Ciel qu'il vous comble, vous mon père, vous ma Maman, et vous tous mes frères et soeur d'autant de bonheur que vous en êtes dignes.

Ecrivez-moi dans deux ou trois mois, adressez les lettres à Monsieur Arnaud, Me boulanger au Fort Royal à la Martinique, pour me le remettre ayez soin de les affranchir jusqu'au port. Je vous écrirai moi-même dès que je serai arrivé et de cette manière j'aurai de vos nouvelles aussitôt que vous pourrez en avoir des miennes .

Assurez, je vous prie, mes respects à mes oncles et à mes tantes. Dites bien des choses de ma part à toutes les personnes de ma connaissance et croyez que je suis pour la vie
Votre très humble et dévoué fils.


Auguste Perriollat

Je ne vous envoie que simplement ce certificat du capitaine parce que lorsque j'ai passé au bureau il y a quelques jours les autorités n'ont pas voulu m'en délivrer avant le jour de mon départ maintenant je crains de m'y présenter à cause que la conscription de 1822 est partie et qu'on craint la guerre.


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