Fort-Royal (Martinique), 21 juin 1829


Très cher Papa et chère Maman,

Que de choses, bien chers parents, que j'aurais vous dire, combien j'aurais à vous entretenir! Si, ne comptant sur l'amabilité de Monsieur Dorel, notre ami, qui se rendant en France et s'en allant a bien voulu se charger de nos lettres et nous permettre de la porter lui-même à leur adresse, lui-même, chers parents, mieux que personne, pourra vous donner des détails sur notre position.
Il pourra mieux que nos lettres satisfaire le désir que vous éprouvez pour tout ce qui nous regarde.

Combien, ma chère Maman, nous sommes sensibles à toutes les peines que vous avez éprouvées, aux larmes que vous avez répandues en apprenant nos malheurs!
Veuillez, je vous en conjure, ne pas vous faire de mauvais sang et surtout ne pas vous chagriner sur ce qui nous regarde.
Nous avons été, il est vrai, très malheureux, mais avec la santé les malheurs ne sont rien, avec la patience on les surmonte. Toutes les peines que j'éprouve sont toutes dans le retard de mes affaires, qui me tiendront quelques années de plus dans la colonie et différeront de quelques années le plaisir que je ressentirai de vous revoir et de vous serrer sur mon coeur.

Combien, mon cher Papa, je suis sensible à toutes les infirmités et à toutes les douleurs que vous éprouvez! Si le Ciel, dans sa miséricorde, voulait bien écouter les voeux que je lui fais tous les jours, s'il s'y rendait sensible, je ne doute pas que vous fussiez bientôt guéri.
Mais enfin que voulez-vous! La vieillesse a ses infirmités comme la jeunesse ses malheurs et ses infortunes! Nous en faisons, mon cher Papa, une rude expérience, l'un et l'autre. Vous, vous êtres tourmenté par des douleurs de goutte, et moi je suis dans ce moment dans le déplaisir de ne pouvoir faire mes affaires comme je les aurais faites sans mes grandes pertes.

J'ai perdu dans six mois une honnête fortune pour le pays que vous habitez.
Et outre ces pertes, j'ai couru le risque de perdre la vie,
qui au fait est peu de choses quand on a tout perdu et qui cependant est beaucoup pour moi, puisque j'ai le bonheur de savoir que vous existez et que j'ai encore l'espoir de pouvoir vous voir un jour, et qu'en outre cela je possède la santé.

Mon frère Auguste, qui maintenant habite Saint-Pierre, est chargé de vous donner les détails de son voyage à ma recherche. Et notre frère Théodore, à qui j'ai envoyé la mienne, est chargé de vous la remettre.

Mille choses, très chers parents, à tous nos frères et soeurs, Maurice, Baptiste, Xavier, et Eugène, notre soeur et notre frère Mounier, et notre aimable soeur Gabrielle. Exprimez-leur combien nous sommes sensibles à leur doux souvenir.
Nous faisons des voeux tous les jours pour leur prospérité.
Combien nous serions heureux et contents si nous avions la ferme conviction qu'ils sont tous contents et heureux! que leurs affaires prospèrent, que leurs familles vont bien et sont bien portantes.
Ce que cependant nous apprenons avec plaisir c'est que leur famille augmente.

Veuillez, très chers parents, avoir la complaisance de m'envoyer, je vous en prie, mes papiers pour que si par hasard je trouvais un parti qui me convient je ne manque pas mon affaire. Je vous renouvelle cette prière. Veuillez je vous prie ne pas l'oublier, envoyez-y votre consentement ou votre procuration pour cela. C'est une chose à laquelle je tiens beaucoup quoique dans ce moment je n'ai encore rien en vue. Ne me refusez pas, je vous prie, cela.

Mille compliments à tous nos parents, oncles et tantes, principalement à toutes nos tantes de Valence, ainsi qu'à tous nos cousins qui vous demanderont de nos nouvelles.

Adieu, très chers parents, recevez l'assurance de la parfaite considération de votre tout dévoué et affectionné fils.


Julien Perriollat



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